Enfants yézidis réfugiés
Enfants yézidis réfugiés

 

Bagdad (Irak) – 3 août – Premier anniversaire du génocide yézidi à Shengal perpétré par les terroristes de l’Etat Islamique. Il y’a exactement un an, jour pour jour, dans la nuit du 2 au 3 août les militaires kurdes d’Irak, les « peshmergas », dont le nombre était de 8.000 hommes [1], ont été contraints de quitter la région de Shengal pour des raisons qui demeurent, encore à ce jour,  imprécises. Après cette soudaine désertion, les djihadistes sunnites se sont emparé de la région yézidi de Shengal, et ont par la suite organisé un véritable massacre de la population civile. Suite à ces terribles évènements les photographies et les reportages en provenance de Shengal ont fait le tour du monde, elles ont été diffusées sur presque toutes les chaines mondiales, et sont parvenues à émouvoir mais également à choquer l’humanité entière. On estime à 10 000 personnes tuées, jusqu’à 5000 femmes et enfants réduits en esclavage et près de 400.000 Yézidis sont devenus des réfugiés politiques. Ce 74 ème génocide représente une véritable tragédie pour le peuple yézidi car pour la première fois, depuis leur existence, ils ont quitté leur territoire ancestral sur lequel ils vivaient depuis plusieurs millénaires. Face à ce chaos, la communauté internationale, y compris les Etats-Unis, est contrainte de rassembler ses forces afin de pouvoir lutter de façon efficace contre l’E.I.

Dans cet article nous n’allons guère décrire les épouvantables détails du génocide yézidi, nous allons en revanche nous concentrer sur les évènements qui l’ont précédés, puisque des meurtres de masse d’individus de confession yézidie et également la destruction de la population assyrienne en Irak sont aujourd’hui à l’œuvre, au point de ne plus surprendre la population mondiale. Ceci est dû à la politique tyrannique que mènent Erbil et Bagdad, particulièrement cruelle envers les minorités ethniques présentes en Irak.

La ville de Shengal se situe dans la partie nord-ouest de la province de Ninive, et est à environ 136 km de Mossoul. Shengal était jadis, le plus grand et puissant avant-poste orientale de l’empire Romain. Le centre du quartier éponyme qui a une superficie de 1420 kilomètres carrés, et est le bastion du peuple yézidi.

Lors du règne du dictateur Saddam Hussein, une économie agricole a été mise en place. Shengal était alors l’une des régions les plus convoitées d’Irak. Outre le blé, Shengal est également très riche en orge, riz et tabac, ces éléments ont alors été cultivés et exploités jusqu’au bout. Dans les villages de Ain al – Ghazal et Hayala, appartenant à la région de Shengal, il y a d’importants gisements de pétrole et dans les montagnes de Shengal ont été identifiées des gisements de gaz naturel mais également des minéraux lourds [2].

Avant l’arrivée des terroristes de l’E.I, il y avait près de 400.000 Yézidis dans la région de Shengal. En 2007 on estimait à environ 90.692, le nombre de personnes personnes vivant au centre de la région, parmi ces 90.692 habitants, 75.077 étaient Yézidis, les 15.115 personnes restantes étaient Arabes ou Turkmènes [3].

De 1977 à 1987 la région a subi une arabisation sous les directives de Saddam Hussein. Les habitants de plusieurs villages Yézidis ont alors rassemblé les richesses des réserves appelées « Mujdamaa » [4]. Si selon certaines sources, le nombre de Yézidis présents à Shengal était de 100.511 en 1977, il était de 20.711 en 1987. Même après la fin du règne de cette politique dictatoriale et répressive, la communauté yézidie n’a pas pour autant cessé d’être persécutée par ses voisins musulmans [5].

En octobre 1994, un nouveau décret, intitulé décret n° 9420, est entré en vigueur sous le régime politique mis en place par Saddam Hussein. Celui- ci consistait à la destruction de deux villages yézidis : «Guamech Tapa » et également « Kazana ». Cette décision fut aussitôt suivie d’une autre décision, celle d’accorder toutes les richesses terriennes de ces villages à des individus arabes musulmans et en aucun cas aux Yézidis. Le 10 septembre 2000, les dirigeants du gouvernement central firent entrer en vigueur une nouvelle résolution : ils accordèrent à la population arabe l’autorisation de devenir les propriétaires des maisons dans les régions de Mackmura et de Shengal, quel que soit leur lieux de naissance. De cette manière, Bagdad a mené une politique centrée sur la volonté de changer la situation démographique sur des territoires historiquement yézidis. L’apogée de ces changements démographiques fut la prise de décision de détruire 1200 domiciles Yézidis dans le village de Sinune (situé dans la région de Shengal). Cette décision fut prise par le Comité de la sécurité le 22 octobre 2001.

Après la chute du régime de Saddam Hussein en 2003, l’Irak est tombé dans une longue période de confrontation entre chiites et sunnites. Le pays a vu une augmentation de fanatisme religieux qui fut soutenu par le gouvernement central et les Kurdes. De cette manière la nouvelle Constitution d’Irak, qui fut créée avec le soutien des Etats-Unis, a dû adapter 2 islams à son gouvernement [6]. A leur tour, les Kurdes irakiens sont allés de l’avant, en déclarant la charia comme unique fondement possible du gouvernement kurde [7]. Rappelons que selon la charia les Yézidis ne sont pas considérés comme des « gens du Livre ». Cela veut dire que les Yézidis doivent soit accepter de se convertir à l’islam, soit en cas de refus ils doivent être exterminés.

C’est dans ce contexte que le premier signal inquiétant pour les Yézidis fut l’attentat dont ils ont été victimes en 2007 à Shengal. Cet attentat fit plus de 500 morts [8]. D’après les renseignements yézidis, cet attentat fut réalisé par des services secrets kurdes sous l’initiative du gouverneur de Mosoul, Khorso Goran. Après cela des forces de sécurité kurdes ont été introduites dans la région pour, apparemment, protéger les Yézidis de la menace terroriste, mais dans les faits, elles menaient une politique chauviniste envers la population locale. Cet évènement a été l’un des moments clés de l’histoire yézidie et le début de leur fin. De facto Shengal est passé sous le contrôle des autorités kurdes.

Remarquons cependant qu’au début, les Yézidis plaçaient de grands espoirs dans le Kurdistan irakien le considérant comme libérateur, mais c’est l’exact opposé des attentes qui s’est alors passé. Saddam Hussein a été remplacé par Massoud Barzani, le KDP a remplacé le parti Baas et le slogan « Les Yézidis sont Arabes » a été remplacé par « Les Yézidis sont les Kurdes les plus pures ». Ainsi la politique d’arabisation a été remplacée par une politique de kurdification. Selon le rapport de l’organisation américaine luttant pour les droits de l’Homme « Institute for International Law and Human Rights», les Yézidis ne se reconnaissant pas comme Kurdes ont été systématiquement persécutés, victimes de discrimination diverses et arrêtés par des services secrets du Kurdistan irakien [9].

Les terres yézidis qualifiés de «territoires disputés» selon la constitution irakienne sont devenues l’arène des affrontements interminables entre Erbil et Baghdâd. Tentant de se débarrasser des Yézidis qui ne leur étaient pas loyaux, le Parti Démocratique du Kurdistan appliquait la politique de Saddam Hussein, que ce dernier utilisait jadis à son tour conte eux-mêmes. L’agence Wikileaks rapporte que déjà en 2008, le Mir des Yézidis, Tahsin-Beg, disait aux diplomates occidentaux que la communauté yézidie disparaitrait sous la pression du PDK. Tarsin-Beg rapportait que les représentants du PDK confisquaient les terres et les biens des Yézidis dans la région de Sheikhan pour ensuite les donner aux Kurdes [10]. Le leader yézidi supposait que le PDK exagérait délibérément la proportion de la population kurde dans cette province afin de gagner les referendums à venir dans la province de Ninive. Selon le Mir, cette politique « mènera à la disparition des Yézidis » [11].

Les paroles du leader yézidi se sont révélés être vraies. Sheikhan qui depuis la nuit des temps était majoritairement peuplé de Yézidis et qui était le berceau du Yézidisme, est aujourd’hui devenu une région musulmane.

Les membres du PDK contrôlaient tous les postes administratifs importants à Shengal. Malgré des revenus considérables provenant de la manne pétrolière, un haut taux de chômage et de pauvreté régnaient à Shengal, ce qui obligeait les Yézidis à se rendre à Mossoul dans la quête d’une vie meilleure. Et à Mossoul ils devenaient les cibles privilégiés des islamistes. Le secteur agraire de Shengal était détruit, l’économie anéantie, et les solutions à ces problèmes tardaient à venir à cause de l’absence d’une réelle volonté politique. Chaque fois que les Yézidis tentaient de défendre leurs droits, les pouvoirs du Kurdistan irakien en la personne de Massoud Barzani, disaient que les terres yézidis sont des « territoires disputés » et qu’ils ne sont pas sujets à la juridiction kurde. Malgré le statut de « territoire disputé » les pouvoirs kurdes participaient de manière active dans les élections locales et contrôlaient les postes clés des structures et organes politiques locaux [12].

L’islamisation de la société kurde, menée activement par le clan Barzani, est devenue une menace réelle pour les Yézidis et les chrétiens. L’une des conséquences du processus de l’islamisation ont été les pogroms de l’année 2011, qui ont eu lieu contre les commerces appartenant aux Yézidis et aux Assyriens [13]. Par ailleurs les Yézidis et les Assyriens ne pouvaient pas occuper des postes haut placés des structures étatiques, puisque pour y accéder il faut poser sa main droite sur le Coran et jurer dessus, chose qui leur est inconcevable [14].

La création artificielle de la promiscuité dans les lieux d’habitations compactes des Yézidis est devenue l’une des causes de la forte hausse du taux de suicide parmi les jeunes Yézidis d’Irak. N’importe quelle initiative des hommes d’affaires yézidis visant à améliorer la situation était éradiqué dans son état embryonnaire et les initiateurs ont dû systématiquement encourir des sanctions. Ainsi à la fin de l’année 2012, a eu lieu à Shengal, une conférence visant à réduire les suicides parmi les Yézidis. A la fin de la conférence, les activistes yézidis ont été arrêté par les services de renseignement kurdes « Asaïch » et certains d’entre eux ont subi des violences [15].

Au lieu de créer une atmosphère de sécurité et de l’entretenir, les services de renseignement kurdes se concentraient sur la suppression de toute activité yézidie. Et pendant ce temps-là, la région devenait la cible des terroristes qui ne rencontrant aucune réaction de la part des pouvoirs kurdes et centraux, s’y sentaient à l’aise. Après des n ièmes meurtres au mois de mai 2014, le premier-ministre du Kurdistan irakien Nechirvan Barzani a promis la création d’un groupe militarisé yézidi qui aura pour but de parer les attaques terroristes contre la région de Shengal [16], mais à part des promesses, rien de concret a été réalisé.

Quelques heures avant l’offensive des djihadistes, les peshmergas kurdes ont reçu l’ordre de quitter Shengal sans aucune évacuation préalable de la population civile. Les soldats yézidis faisant parti des unités combattantes kurdes, ont montré leur volonté de défendre la région et ont refusé d’obéir aux ordres, ce qui leur a valu d’être fusillé sur le champ [17]. L’étonnement des habitants yézidis qui supposaient que les peshmergas les protégeaient, était au summum lorsque pendant la nuit les djihadistes ont fait irruption dans leurs domiciles pour massacrer des familles entières. Et par-dessus le marché, les arabes et kurdes habitant Shengal se sont joint à l’Etat islamique et sont ainsi devenus des collaborateurs de cette organisation terroriste pour perpétrer le 74 ème génocide des Yézidis, un peuple, qui étaient autrefois leurs voisins.

 

Selon les déclarations du leader yézidi Haydar Shesho, ce sont des musulmans locaux qui faisaient preuve d’une brutalité particulière envers les Yézidis en les brulant vifs dans des fours [18]. Après la libération de la partie Nord de Shengal en décembre 2014, de nombreux anciens voisins des Yézidis ont émigré dans le Kurdistan irakien sans être poursuivi en justice pour leurs crimes. Mais l’oppression faite par les pouvoirs kurdes à l’encontre des Yézidis ne s’est pas arrêté là. A la fin du mois de mars 2015, les services secrets kurdes ont dispersé dans la violence une pacifique manifestation yézidie, qui demandait la libération des Yézidies captives, la reconnaissance du génocide yézidie et de l’autonomie des terres yézidies en sein de l’Irak [19]. Dans le Kurdistan irakien des arrestations de masse des activistes yézidis ont eu lieu, y compris l’arrestation du commandant de la résistance de Shengal, Haydar Shesho. Les autorités kurdes lui ont mis un ultimatum : soit il se soumettait aux autorités kurdes, soit il passerait le restant de ses jours en prison, alors que sa milice armée avait été officiellement reconnu comme partie intégrante de l’armée irakienne par Baghdâd [20]. Le drapeau yézidi é également été interdit sur le territoire du Kurdistan irakien.

Bien que Massoud Barzani a déclaré que les responsables de la fuite des peshmergas seront punis, aujourd’hui, un an après les évènements, tous les fautifs sont toujours en liberté et continuent d’occuper leur postes.

Ainsi le génocide des Yézidis perpétré par les terroristes de l’Etat islamique n’est pas un évènement imprévisible. De facto l’E.I. a achevé les plans conçus sur long terme de Baghdâd et d’Erbil, que ces derniers n’osaient pas à faire ouvertement. Vivant sur des terres abritant de nombreuses ressources naturelles, les Yézidis étaient un obstacle pour les Arabes et les Kurdes. Ces derniers les ont malheureusement sacrifiés pour leurs intérêts nationaux. Car c’est après l’invasion de Shengal et le génocide des Yézidis que la communauté internationale a commencé à fournir de l’aide matérielle et militaire aux autorités du Kurdistan irakien.

Pendant que l’Occident cherche à sauvegarder les mariages homosexuels, les peuples et cultures les plus anciens du Moyen-Orient sont au bord de l’extinction. Personne ne se souci d’eux, ce qui prouve une n ième fois l’aspect fictif du droit international, que les puissances mondiales aiment tant citer pour préserver leur intérêts nationaux. Mais il s’agit là d’un autre débat.

Source: ИА REGNUM, Roustam Rezgoyan

Liens:

[1] Un des généraux de l’armée kurde Qassim Shesho le dit dans une interview à l’agence « Rudaw » : http://rudaw.net/arabic/onair/tv/episodes/episode/hevpeivin19092014

[2] Rapport du ministère des affaires étrangères du Kurdistan irakien sur « les changements administratifs à Kirkouk et dans les territoires disputés », page 42 http://perleman.org/files/articles/130 508 111 135.pdf

[3] Le même rapport parle des Kurdes, alors que c’est un fait admis que ce sont les Yézidis qui sont majoritaires sur ces terres. Ceci est liée au fait qu’au Kurdistan irakien, les autorités ne reconnaissent pas l’identité des Yézidis. Selon la constitution kurde les ethnies officiellement reconnues sont les Kurdes, les Arabes, les Assyriens et les Arméniens.

[4] Dima Pirbari et Roustam Rezgoyan « Question de l’identité des Yézidis »  http://www.gumilev-center.ru/k-voprosu-ob-identichnosti-ezidov/

[5] ] Rapport du ministère des affaires étrangères du Kurdistan irakien sur « les changements administratifs à Kirkouk et dans les territoires disputés », page 42 http://perleman.org/files/articles/130 508 111 135.pdf

[6] Constitution de l’Irak: http://worldconstitutions.ru/?p=338

[7] Ce point est évoqué dans l’article 6 du projet de la constitution du Kurdistan irakien

[8] « Les attentas envers les Yézidis – une action mené par les gouvernements de l’Irak et du Kurdistan : Union mondiale des Yézidis » : http://www.regnum.ru/news/873 425.html

[9] «Iraq’s Minorities and Other Vulnerable Groups: Legal Framework, Documentation and Human Rights»: http://lawandhumanrights.org/documents/MinorityHB_EN.pdf

[10] «KRG DIVIDED: SPECIAL ADVISOR KRAJESKI DISCUSSES CORRUPTION, MEDIA FREEDOM, AND MINORITY ISSUES WITH KURDISH AND YEZIDI LEADERS, PART I»: https://wikileaks.org/plusd/cables/08BAGHDAD3776_a.html

[11] Idem

[12] Le commandant yézidi Haydar Shesho a expliqué la situation à Shengal: http://ezidipress.com/ru/?p=2721

[13] Vidéo montrant les pogroms des magasins et des salons de massages appartenant à des Yézidis et Assyriens: https://www.youtube.com/watch?t=159&v=eQKoWlaPam8

[14] « Les Yézidis d’Irak : ce pays n’est pas notre maison » : http://ezidipress.com/ru/?p=3744

[15] «Iraq’s Minorities and Other Vulnerable Groups: Legal Framework, Documentation and Human Rights»: http://lawandhumanrights.org/documents/MinorityHB_EN.pdf

[16] «600 Peshmegas seront repartis à Shengal » http://ezidipress.com/ru/?p=935

[17] Amy L. Beam, Genocide: 10 Reasons Why Ezidis Refuse to Return to Shingal http://kurdistantribune.com/2014/genocide-10-reasons-why-ezidis-refuse-return-shingal/

[18] La conférence de Haydar Shesho à Oldenbourg: http://www.youtube.com/watch?v=9b05R9VxQ1o; http://www.youtube.com/watch?v=qWo6ns5BEeg;
http://www.youtube.com/watch?v=GLrWRdKdCCY;
http://www.youtube.com/watch?v=XuH01nyORRk

[19] Après la dispersion par la force de la manifestation yézidie, quelques Yézidis ont été blessé : http://ezidipress.com/ru/?p=3291

[20] Reportage de Euronews: Irak – «L’Etat islamique a libéré 200 Yézidis»: http://www.youtube.com/watch?v=RlcVFCCwWrI
Précisions: http://regnum.ru/news/polit/1948259.html